(224 pages - format : 14,5 × 21,5 cm)
Revue de presse
Sous titré de cette manière évidemment, vous risquez de ne pas trouver le sujet glamour. Et pourtant… Émouvant, utile, intelligent, le livre d'Hervé Latapie aux éditions du Gueuloir vous embarque au cœur d'une réflexion illustrée par les témoignages des personnes concernées. Qui ne l'est pas ?
C'est la force de ce texte de vous prendre par la main. Avec beaucoup de doigté, Hervé raconte dans une première partie, son époque, ses amis et le tsunami de la maladie qui déferle. On a l'impression qu'il déploie devant nous les mots qu'il faut entendre pour être attentif à l'intention.
Quel livre ! Quelle belle surprise ! Aucune complaisance, juste un frisson de vérité, sans gueuler, l'auteur dit, raconte, expose. Au lecteur de bien vouloir se laisser guider. Même un rétif de mon acabit s'assouplit aux accents de vérités qui dessinent un jolie repérage pour comprendre ce qu'il en était de cette question au début de l'histoire du SIDA.
En seconde partie, quelques jeunes séropos prennent la parole. Et là, c'est un festival de sensations, d'émotions, de réflexions parfois si évidentes, d'exemples si simples qu'on se dit : mais pourquoi diable ne l'avons-nous jamais lu ou entendu de la sorte ?
Par exemple, qu'en est-il de cette fellation et son pouvoir contaminant ? Qui ne s'est pas posé cette question ? Beaucoup d'interrogations traversent ce texte comme autant de pensées nous ont bousculé à un moment ou un autre de notre vie. Les témoignages facilitent l'appropriation des réflexions. Il favorisent l'effet projectif, comme on dit en psychologie. Bref, on se sent concerné.
La prévention officielle, parfois son incurie ou sa manifeste incapacité à gérer les difficultés de la contradictions est marquée à la culote, au coin du bon sens. Dans la troisième et dernière partie, c'est l'estocade. Hervé Latapie explore la position des sidacrates(personnels devenus fonctionnaires d'une cause). Il commente les financements dégagés pour éditer de belles plaquettes en papier glacé aux contenus justifiant la dépense plus que le contenu.
Il fustige le double jeu des laboratoires qui, sournoisement, semblent organiser la banalisation de la consommation de médicaments au détriment d'une éducation pour les éviter. Il évoque la relégation des discours et des prises de positions des militants relégués dans le clan des "has been".
Rédigé avec l'engagement arrimé au ventre, ce livre vous parlera autrement de cette chose indélicate, moche et fripée qu'est la prévention aujourd'hui.
Une très belle découverte que je vous recommande chaleureusement.
Génération trithérapie, Hervé Latapie, éditions Le Gueuloir, 219
pages.
Lionel DUROI pour Gayvox.fr - Publié le 30/03/2012
Il est des livres dont le titre est sans équivoque. Il est des livres dont le contenu est indispensable. Il est des livres qui nous apprennent bien plus que tous ceux traitant du même sujet. Celui d’Hervé Latapie est de ceux là. Partant de son expérience de gérant d’un établissement gay parisien, Le Tango, l’auteur nous explique que son métier, par nature, lui a permis de rencontrer tout un tas de personnes différentes aux histoires variées. Parmi ces personnes, il a pu notamment entrer en contact avec de jeunes gays séropositifs confrontés à la sérophobie. Sans la juger, il décrit alors la nouvelle génération de séropositifs, contaminée depuis l’apparition des nouveaux traitements en 1996. Puis il poursuit son raisonnement en tentant de comprendre le relâchement actuel de la prévention chez les gays. Il déplore l’accroissement des pratiques bareback tout en illustrant son propos par quelques anecdotes intéressantes dont sa rencontre avec Guillaume Dustan. Enfin, il appelle à une nouvelle visibilité de la séropositivité pour remobiliser les homos contre le sida. Son récit est tantôt édifiant, tantôt riche en enseignements. Tant et si bien que la prochaine fois que vous sortirez, ce sera avec une capote dans la poche de droite et Génération Trithérapie dans celle de gauche.
Grégory Moreira Da Silva (Magazine Sensitif - n° 67 - avril 2012)
Interview d’Hervé Latapie* pour son livre
Génération Trithérapie
Rencontre avec des jeunes gays séropositifs
SIS : Vous constatez que les jeunes gays séropos sont invisibles dans la société. Ils ne veulent pas se montrer, en quelque sorte ils sont retournés dans le placard…
Hervé Latapie : Ils sont devenus invisibles. Ils n’osent pas parler. Ils n’osent pas se définir publiquement en tant que séropos. Ils sont en fait dans une problématique de coming out : est-ce qu’ils doivent le dire, ne pas le dire, et à qui ? Souvent leur calcul est de ne pas le dire. Ils gardent leur séropositivité pour eux.
SIS : Ils gardent le secret, en particulier vis-à-vis de leur famille…
Hervé Latapie : Oui, on peut annoncer aux membres de sa famille qu’on est homosexuel mais pas qu’on est séropositif. Beaucoup des jeunes que j’ai interrogés préfèrent ne pas leur infliger un problème supplémentaire. C’est aussi le cas de séropositifs plus anciens qui ne le disent pas non plus à leur famille.
SIS : Les témoignages permettent-ils de dire que grâce aux traitements, être séropo aujourd’hui, ce n’est plus un problème ?
Hervé Latapie : Certainement pas. Si effectivement les traitements se sont améliorés, s’ils sont plus faciles à prendre, s’ils sont moins lourds, il y en a beaucoup pour qui de toute façon il y a des problèmes, des effets secondaires, et il y a également l’aspect psychologique. Par exemple et ça rejoint l’idée de l’invisibilité, comment se fait-il qu’ils cachent leurs prises de médicaments ? C’est-à-dire qu’on va cacher ses médicaments dans des boites que personne ne reconnaîtra, on va cacher ses médicaments à ses parents, donc il y a cet aspect psychologique qui est aussi très dur.
SIS : Quels effets secondaires rencontrent-ils principalement ?
Hervé Latapie : Il y a encore des effets secondaires tels que des problèmes intestinaux, de nausée, des cauchemars, des troubles du sommeil… La crainte de tous les effets secondaires à long terme est aussi présente. Qu’est-ce qui va se passer ? ! Ca génère une espèce d’angoisse. Il y a également une sorte d’observation permanente de soi-même. Le moindre rhume inquiète. Même si le traitement apporte un certain confort, être obligé de prendre tout le temps des médicaments, de se trimbaler un pilulier avec tous les effets psychologiques en plus, c’est une situation tout de même très inconfortable.
SIS : Vous regrettez que les campagnes actuelles mettent plutôt l’accent sur le dépistage et le traitement plutôt que sur la promotion du préservatif. D’un côté il y aurait les méchants labos et de l’autre le gentil préservatif qui règle tout ?…
Hervé Latapie : Cette vision est un petit peu caricaturale. Ce que je pense c’est qu’actuellement, on ne réfléchit pas suffisamment à la réinterprétation faite par le grand public des messages de prévention. Il faudrait vraiment se pencher là-dessus. Quand on explique « Faites-vous dépister, prenez un traitement, c’est formidable, etc. », on ne se demande pas comment c’est interprété par un jeune, un moins jeune, un gay séronégatif par exemple, donc on minimise un petit peu le problème. On a l’impression que tout d’un coup c’est formidable de prendre un traitement, que c’est anodin. C’est contre cela surtout que je m’oppose. Parallèlement, oui, on laisse tomber de fait le préservatif alors que tous les témoignages des gays le montrent : le préservatif est délaissé actuellement. Beaucoup de pratiques se font sans préservatif. Du coup d’autres IST se propagent et on ne règle pas le problème.
SIS : Beaucoup de jeunes gays dans votre livre disent qu’ils se sont contaminés parce qu’ils n’étaient pas bien dans leur tête à un moment donné. L’info ils l’avaient… et pourtant ! Quelles conclusions en tirez-vous pour la prévention ?
Hervé Latapie : Le gros problème, c’est que les séropositifs sont un peu stigmatisés. Ils vivent ce qu’ils appellent la sérophobie. Le gros problème, c’est qu’il n’y a pas suffisamment de discussion, de parole entre gays séropositifs et gays séronégatifs. L’invisibilité, plus ce manque de discussion, crée ces espèces de malaise. Les gens peuvent avoir également des raisons d’avoir de difficultés en tant qu’homosexuels. Tout ceci explique pourquoi beaucoup d’entre eux ne vont pas prendre soin d’eux-mêmes, prendre soin de leur santé et auront donc des pratiques à risque.
SIS : Il faut reparler du sida, dites-vous. Ne faut-il pas plutôt parler de santé sexuelle au sens large pour inclure le sida mais aussi les IST (infections sexuellement transmissibles), les hépatites, etc. ?
Hervé Latapie : Bien sûr. Mais il ne faudrait pas non plus tomber
dans un autre excès. Au Centre LGBT Paris-IDF, par exemple, on m’a
dit : « Mais non, le problème ce n’est pas le sida, c’est la santé. » Parce que les gens ont peur tout simplement de prononcer le mot
sida.
On est encore dans le problème de l’invisibilité. Moi j’affirme que
le problème de santé numéro un pour les gays, et surtout pour les
jeunes gays, c’est quand même le sida, la contamination. Évidemment
les autres IST aussi. Mais c’est quand même le sida qui est la
maladie la plus grave, celle que les gens vont conserver à vie. Il
ne faut donc pas avoir peur des mots. Voilà pourquoi je continuerai
à dire que la priorité des priorités pour la santé des homosexuels,
oui, c’est la lutte contre le sida parce que tout est lié à cela.
Interview réalisée par Alain Miguet pour Sida Info Service – Mars
20112
* Hervé Latapie est engagé depuis
longtemps dans la vie militante et culturelle gay. Il dirige une
boîte de nuit à Paris.